Le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et peut donc se prêter à des limitations réglementaires mises en place par l’État membre, limitations qui ne sauraient cependant restreindre cet accès ouvert à un justiciable à un point tel que son droit à un tribunal s’en trouverait atteint dans sa substance même. Pour cela, les limitations éventuellement mises en place doivent impérativement (1) poursuivre un but légitime et (2) respecter un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Ce principe est appliqué de manière constante et systématique par la Cour européenne des droits de l’homme depuis de très nombreuses années (Baka c. Hongrie [GC], n° 20261/12, § 120, 23 juin 2016 ;Zubac c. Croatie [GC], n° 40160/12, § 78, 5 avril 2018 ; Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 195, 25 juin 2019 ; Ali Riza c. Suisse, n° 74989/11, § 73, 13 juillet 2021 ; Grzęda c. Pologne [GC], no 43572/18, § 343, 15 mars 2022 ; Xavier Lucas c. France, no 15567/20, § 42, 9 juin 2022 ; Justine c. France, n° 78664/17, 21 novembre 2024). Plus particulièrement, si un État membre de l'Union européenne a créé des cours d’appels dans son organisation judiciaire, le droit d’accès du plaideur à ce deuxième degré de juridiction doit être effectivement garanti. La Cour européenne ne contrôle pas l’opportunité des choix opérés par les États membres dans la mise en place des limitations du droit d’accès du plaideur, mais elle peut être amenée à vérifier si de telles limitations sont susceptibles de révéler un « formalisme excessif » qui porte atteinte à l’équité de la procédure. Les deux principes centraux qui guident l’action de la Cour européenne dans cet exercice sont, d’une part, l’impératif de sécurité juridique et, d’autre part, la notion de bonne administration de la justice. Il en résulte que, si la juridiction concernée de l’État membre effectue une interprétation et une application particulièrement rigoureuses d’une règle procédurale interne par ailleurs tout à fait légitime pour exclure le droit d’accès du plaideur à cette même juridiction, sa décision sera sanctionnée pour formalisme excessif car elle aura utilisé la règle procédurale comme une barrière illégitime et disproportionnée empêchant de trancher une affaire pourtant prête à être jugée. Dans l’arsenal des tests et examens auxquels la Cour européenne soumet les décisions des juridictions des États membres auxquelles il est reproché d’appliquer un formalisme excessif, semble se dégager un principe fondamental et essentiel qui est le principe de proportionnalité entre l’interprétation rigoureuse de la règle interne impérative et la finalité que celle-ci est censée poursuivre. Cette focalisation particulière sur la proportionnalité se révélait déjà dans l’affaire Xavier Lucas c. France (n° 15567/20, § 42, 9 juin 2022) dans laquelle le défaut de recours à une communication électronique par le requérant avait entraîné le rejet de ce recours. En défense, le Gouvernement avait invoqué, à juste titre et de manière tout à fait légitime, le fait que ce mode de communication imposé par la règle de procédure interne garantissait aussi bien une bonne administration de la justice que la sécurité juridique des échanges procéduraux. En dépit de ces arguments plus que pertinents, la Cour a sanctionné la France dans cette affaire, au motif que, par le biais d’une interprétation trop rigoureuse de la règle, « le requérant s’est vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d’autre part le droit d’accès au juge».
C’est sur cette voie que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation semble s’être orientée en statuant dans un récent arrêt du 3 octobre 2024 comme suit : « Pour confirmer le jugement en toutes ses dispositions, l'arrêt retient que par leurs conclusions remises au greffe le 2 juin 2017, le GEIE Tunel Del Perthus et la société Eiffage génie civil adressent leurs demandes au tribunal de grande instance de Perpignan et ne saisissent donc la cour d'appel d'aucune demande et que cette absence de demande adressée par les appelants à la juridiction d'appel équivaut à une demande de confirmation du jugement frappé d'appel.
En statuant ainsi, sur le moyen relevé d'office tiré de la désignation dans l'en-tête du dispositif des conclusions des appelants du tribunal de grande instance de Perpignan, alors que ces conclusions, régulièrement transmises à la cour d'appel par le RPVA, contenaient une demande de réformation du jugement, selon les exigences requises, la cour d'appel, qui en était saisie malgré la référence erronée au tribunal de grande instance relevant d'une simple erreur matérielle affectant uniquement l'en-tête des conclusions et portant sur une mention non exigée par la loi, a fait preuve d'un formalisme excessif et a violé les textes susvisés » (Cass, 2ème civ., 3 octobre 2024, pourvoi n° 22-16.223).
L’interprétation trop rigoureuse par la juridiction saisie d’une règle de procédure interne conduisant à un formalisme excessif a été appliquée encore plus récemment à une décision de caducité de la déclaration d’appel où l’appelant n’avait pas indiqué les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l’appel était limité, alors qu’il n’y avait pas lieu de limiter l’appel puisque la décision déférée ne comportait qu’un seul chef de dispositif (Cass., 2ème civ., 16 janvier 2025, pourvoi n° 22-22.878).
Il est en tout cas certain que ce contentieux tout récent du formalisme excessif qui n’en est encore qu’à ses débuts devrait donner lieu dans les prochaines années à une jurisprudence fournie qu’il s’agira de suivre avec attention dès lors que chaque affaire « est examinée dans son ensemble, eu égard aux circonstances particulières de celle-ci », comme la Cour européenne a pu souvent le rappeler.
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